Les principaux symptômes d'une production sans Lean

Par Le 18/09/2016

Dans Gestion de production

La majorité des entreprises qui n’ont pas connu de transformation Lean est organisée autour d’un système de gestion de la production centralisé (généralement un MRP - material requirements planning) qui compare les prévisions de commandes à long terme (PIC et PDP) avec les commandes effectives pour établir un programme de production. Le MRP transmet alors quotidiennement aux divers services de production, généralement organisés par fonction ou métier, des ordres de fabrication en cohérence avec ces prévisions.

Chaque service fonctionne alors en îlot de production, ayant ses propres objectifs et répondant au besoin théorique établi par le MRP. Dans un monde parfait, cela devrait parfaitement fonctionner.

La réalité du terrain est que les processus connaissent des défaillances ponctuelles (rebuts, retouches, micro-arrêts, maintenance curative, instabilité des processus, évolution de la demande,…). La production ne se déroule pas comme l’avait planifié le MRP qui n’est pas architecturé pour réagir à des aléas pouvant survenir plusieurs fois par jour. Des stocks se forment en amont des processus qui prennent du retard et les processus en aval ne sont plus alimentés suffisamment.

Des manquants apparaissent un peu partout, ce qui est étonnant compte tenu de l'accroissement des stocks. Taïchi Ohno (voir une mise en perspective du Lean), le fondateur de l’approche Juste-à-temps, avait ainsi constaté que « plus les stocks sont importants, moins on a de chance d'avoir la pièce dont on a vraiment besoin ! ». On crée, d'ailleurs dans de nombreuses entreprises, une nouvelle fonction, transverse aux divers services, le « chasseur de pièces », dont le rôle est de courir après les manquants à l'intérieur de l'entreprise afin d'endiguer les livraisons en retard. Son action, bien que nécessaire en pareille urgence, vient fausser, chaque jour un peu plus, les données du MRP relatives aux niveaux de stocks de pièces dans l'entreprise.

D’autre part, la demande client étant variable, en volume et en mix produits, les produits finis ne correspondent pas complètement aux besoins de consommation. On accumule des stocks de produits dont on n’a pas immédiatement besoin et on manque de produits demandés par le client. Dans la mesure où la taille des lots de production, calculée grâce à la formule de Wilson, ne correspond pas au pas d’évolution de la demande, l’entreprise n’a pas la flexibilité pour s’adapter à celle-ci. On constate que les stocks engendrés par les variations de la demande sont d'autant plus importants que l'on remonte la chaîne de production.

S’enclenche alors un cercle infernal: les délais n’étant pas tenus, on ajoute une marge de sécurité en augmentant le délai prévisionnel paramétré dans le MRP. Le calcul des besoins demande, en conséquence, de lancer plus tôt de nouveaux ordres de fabrication. Ces nouveaux ordres de fabrication sont alors mis en production, ce qui augmente l’en-cours, … et le délai de traversée, conformément à la loi de Little. Les dates ne sont à nouveau plus tenues, malgré la marge de sécurité !

La production est alors mise sous tension: pour rattraper les commandes en retard, les heures supplémentaires s’enchaînent et les expéditions en urgence s’accroissent. La maîtrise passe son temps à revoir la planification de la production et l’atelier ne fait plus confiance aux plannings. N'arrivant pas à satisfaire la demande client, on songe même à investir dans de nouvelles capacités de production (équipements, machines,...) ! Le déséquilibre n'étant pas uniforme, certains services prennent de l'avance sur les commandes client futures et s'attachent à constituer consciencieusement des stocks intermédiaires, au cas où l’avenir leur réserverait de mauvaises surprises.

La production a du mal à répondre aux réclamations client dont le taux ne s'améliore pas: les défauts qualité sont repérés tardivement dans la mesure où les pièces défectueuses sont noyées dans des lots dont la taille ne les rend visibles que bien longtemps après la genèse du défaut.

Face à ces difficultés, quelques initiatives sont lancées ici et là pour améliorer la productivité de tel ou tel service. Malheureusement, ces optimums locaux ne font qu’aggraver la situation (voir théorie des contraintes). En effet, le flux n’étant pas équilibré, les améliorations locales de productivité viennent abonder des stocks intermédiaires que les processus amont ne peuvent exploiter.

Compte tenu des stocks accumulés, les temps de traversée grimpent à tel point que les demandes client ont le temps d’évoluer entre le moment où elles entrent en fabrication et le moment où elles sortent de l’usine !

Les coûts de gestion des stocks (manutentions, inventaires, surfaces), la baisse de productivité globale (augmentation des heures supplémentaires et des heures de main d'œuvre indirecte pour les activités de planification), les coûts engendrés par les retouches, le traitement des réclamations client et les expéditions urgentes viennent augmenter les coûts d'exploitation et réduire un bénéfice, déjà impacté par la contraction des ventes (dans la mesure où la production n'arrive pas à répondre à la demande). Les niveaux de stocks conduisent à augmenter le besoin en fonds de roulement et à mettre sous tension la trésorerie.

La direction commerciale décide alors de lancer une campagne de promotion sur les produits afin de redonner des couleurs au chiffre d'affaires. Les commandes repartent bien à la hausse induisant une forte variabilité de la demande que la production est bien incapable de suivre. Il s'en suit de nouvelles livraisons en retard et des clients toujours plus mécontents. 

La situation devient hors de contrôle … il est temps de lancer une démarche d’excellence opérationnelle !

Cercle infernal

Pour résumer, les principaux symptômes d’une organisation classique n’ayant pas connu de révolution Lean 6-sigma ou de pilotage de la production par les contraintes sont:

·       Un sentiment d’urgence permanent,

·       Une augmentation de l’en-cours et des stocks,

·       Une baisse du taux de service,

·       Un taux de qualité en berne,

·       De nombreux manquants,

·       De nombreuses heures supplémentaires et expéditions urgentes,

·       Une augmentation du besoin de fonds de roulement et une trésorerie sous tension,

·       Des améliorations locales de la productivité sans aucune incidence sur le chiffre d’affaires,

·       Une organisation par service, fonction ou métier ne favorisant pas la fluidité du flux de production,

·       La création d'une fonction de chasseur de pièces,

·       Des campagnes de promotion que le système de planification de la production est incapable de lisser,

·       Des investissements en capacité de production pour répondre à une demande que l'on n'arrive pas à satisfaire.

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Synthèse des symptômes d'une production classique et remèdes apportés par un déploiement Lean

Les principaux symptômes d'une production classique qui n'a pas connu de révolution Lean (ou qui n'a pas su l'entretenir) sont présentés dans le tableau suivant qui détaille également les remèdes apportés par un déploiement Lean.

Symptômes d’une production classique sans LEAN

Les remèdes apportées par le déploiement du LEAN

Un sentiment d’urgence permanent

Les prévisions du MRP ne sont utilisées que pour les projections à moyen-long terme.  Le planning de production à court-terme est fixé en Lean par la consommation « réelle » du client qui tire l’ensemble de la chaîne de la valeur. Les incessantes planifications qui visent à corriger les données erronées/approchées du MRP ne sont plus nécessaires.

De plus, la réduction des tailles de lot et le nivellement de la production en volume et mix produits (boîte Heijunka) permet de répondre plus rapidement aux évolutions de la demande client: cette flexibilité permet la mise en œuvre d’une production apaisée.

La gestion de production selon la théorie des contraintes ménage des excédents de capacité sur les ressources non-goulot permettant de faire face à d’éventuelles fluctuations aléatoires ou à de possibles aléas de production et ce, pour maintenir une production optimale au niveau du goulot.

Une augmentation de l’en-cours et des stocks

La production Lean étant tirée par le client, l’en-cours, tout comme le niveau des stocks, est maîtrisé: n’est produit que ce qui est nécessaire au poste aval, quelque que soit la position du poste de production dans la chaîne de la valeur.

La gestion de production, selon la théorie des contraintes ; restreint la production à la capacité du goulot et limite l’en-cours à « nourrir » le goulot.

Une baisse du taux de service

Le Lean permet de réduire les temps de traversée du cycle de production (par réduction drastique du niveau des stocks intermédiaires) et vise à aligner le rythme de production et les capacités sur la demande client (Takt Time8). Ces principes, associés à un pilotage rigoureux de la performance, permettent d’améliorer le taux de service.

Un taux de qualité en berne

La réduction des temps de traversée du cycle de production et des tailles de lot permet de faire apparaître au plus tôt les rebuts et retouches. Cela permet d’agir pour traiter leurs causes racines avant que la non-qualité se propage le long de la chaîne de la valeur. En s’appuyant sur les outils du pilier JIDOKA, on vise une production « bonne du premier coup ».

La mise en œuvre du 6-sigma permet de centrer la production sur la cible et réduire sensiblement le taux de rebuts et de retouche.

De nombreux manquants

L’adaptation de la production à la consommation « réelle » du client (Takt Time8) permet d’anticiper avec précision les approvisionnements nécessaires aux différents postes de production. Couplé à un approvisionnement bord de ligne et une gestion en flux tiré, les stocks et les approvisionnements sont maîtrisés en nature et volume.

De nombreuses heures supplémentaires et expéditions urgentes

Dans la mesure où la production est calée sur le besoin réel du client (Takt Time8), il n’y a plus lieu de « rattraper » les écarts de production, lancés en flux poussé par le MRP. Les heures supplémentaires et les expéditions urgentes ne sont plus nécessaires.

L’adaptation des cellules de production en capacité permet, de plus, de répondre à d’éventuelles augmentations de la demande client (Takt Time8 en baisse).

Une augmentation du besoin en fonds de roulement et une trésorerie sous tension

Les problèmes de production ou les baisses de commandes ne se traduisent pas par des augmentations sensibles de stocks intermédiaires et de produits finis, conduisant à immobiliser des fonds et réduire la trésorerie. En effet, la mise en œuvre d’un flux tiré permet de restreindre la production à ce qui est juste nécessaire au poste aval.

Des améliorations locales de la productivité sans aucune incidence sur le chiffre d’affaires

Le Lean vise à équilibrer la production sur l’ensemble de la chaîne de la valeur: la VSM permet, en effet, de cibler les améliorations locales à apporter au flux pour améliorer son efficience globale.

La gestion de la production, selon la théorie des contraintes, permet de cibler les actions d’amélioration les plus pertinentes pour le flux global (le throughput).

Une organisation par service, fonction ou métier ne favorisant pas la fluidité du flux de production

Les organisations classiques par métiers ou types de machine favorisent les optimisations locales qui ne permettent pas toujours d’atteindre l’optimum global. Le Lean professe une organisation par ligne de produit afin de concentrer l’attention de la production sur la création de la valeur sur le produit, au profit du client.

La création d'une fonction de chasseur de pièces

L’approvisionnement des postes de travail est organisé selon une logique en flux tiré, par lots de faibles quantités permettant d’assurer une traçabilité et une maîtrise des stocks en nature et volume. Il n’y a plus lieu de « traquer »  les pièces.

Des campagnes de promotion que le système de planification de la production est incapable de lisser

Les campagnes de promotion sont une hérésie en Lean dans la mesure où elles occasionnent des pics de demande donc de production, peu compatibles d’une production lissée. Si la production n’a pas la flexibilité requise, ces campagnes se traduisent presque systématiquement par des retards et des accumulations de stocks.

Des investissements en capacité de production pour répondre à une demande que l'on n'arrive pas à satisfaire

C’est un leurre souvent constaté de penser que si la production n’arrive pas à répondre à la demande client (en volume et délai), c’est que les capacités de production sont insuffisantes. Des investissements inutiles peuvent souvent être évités en réduisant les temps de traversée du cycle de production, donc en augmentant le taux de rotation des stocks. Le client est servi plus vite, à l’heure et des capacités de production sont dégagées.

 

Cette capacité à transformer les entreprises, à les porter vers l’excellence, de manière simple et efficace, pour un investissement rapidement rentabilisé, a fait le succès du Lean, du 6-sigma et de la théorie des contraintes en quelques décennies. On découvre, depuis une quinzaine d’années, que leur combinaison a des effets remarquables et permet d’ouvrir de nouveaux horizons à l’excellence opérationnelle.

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